Les Vikings

Publié le par Franck

- Deuxième partie,

Héritage 

Comme celle des autres peuples germaniques, les croyances Vikings, avant la christianisation, sont mal connues. La mythologie Viking a été réinventée de toutes pièces par les chrétiens, lors de la période Normande. À l’origine "les pères des Vikings" avaient le culte d’une Déesse Mère et des grandes forces naturelles qu’ils ont représentées plus tard par la création d’un panthéon qui compte notamment Odin, Thor, Jord, Frigg, Freyja , Freyr... et le grand arbre Yggdrasill.

Il existe des témoignages de l'époque romaine décrivant ce que l'on nomme « les pères des Vikings » en ces termes :

« ils (germains du nord) n’ont ni druides qui président au culte des dieux, ni aucun goût pour les sacrifices, ils ne rangent au nombre des dieux que ceux qu’ils voient et dont ils ressentent manifestement les bienfaits, le Soleil, le feu, la Lune. Ils n’ont même pas entendu parler des autres. »

César dans Comentarii De Bello Gallico VI, 21

« ils répugnaient à présenter leurs Dieux sous formes humaines, il leur semble peu convenable à la grandeur des habitants du ciel, ils leur consacrent les bois, les bocages et donnent le nom de Dieux (et Landvaettir) à cette réalité mystérieuse que leur seule piété leur fait voir » « Aucun de ces peuples ne se distingue des autres par rien de notable, sinon qu’ils ont un culte commun pour Nerthus c'est-à-dire la Terre Mère, croient qu’elle intervient dans les affaires des hommes et circule parmi les peuples » (La grande Aïeule primordiale, la Stammor, Jord, Fjorgyn, la Déesse Mère.)

Tacite. Germania IX,3

Religion? [modifier]

Nous ne pouvons pas parler de religion, la langue ne dispose pas de vocable pour « religion ». Le mot approchant serait « seydr,sidr,sejdr » : coutume, ensemble de pratiques, magie. Leurs croyances ne possèdent aucun crédo, pas de prières, pas de prêtres, ni ordre religieux, ni temples, sans foi, sans dogmes..., mais une totale liberté de pensée.

L'Islande devenue chrétienne, l'Église ne badine pas plus là qu'ailleurs sur la stricte observance de ses lois.La rédaction deux siècles après l’âge Viking, donne latitude à l’Église, d’entreprendre un travail patient et opiniâtre d’éradication, bien connu d’autre part. Les auteurs Snorri et Saxo Grammaticus s’efforceront bien de reconstituer un panthéon organisé vaille que vaille autour de quelques grands dieux en se contredisant souvent et parfois gravement. Il n’est pas difficile de montrer l’inconsistance de leur doctrine, notamment dans leur application à faire de l’évhémérisme .

L'archéologie, l'histoire, et le passage à l'étamine de toutes nos sources, et en considérant avec plus d'attention les témoignages antérieurs à la domination chrétienne, qui semblent être les plus objectifs (comme ceux cités plus haut dans le chapitre héritage), permettront d'avoir une idée plus précise de ce qui auraient pu être les "Croyances Vikings".

Origines géographiques et aires d’expansion 

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Expansion viking du VIIIe au XIe siècle

L'origine géographique des Vikings détermina la direction de leur expansion. Les Varègues (Suèdois) se sont dirigés vers l'est, autour de la Baltique et en Russie. Les "Norvégiens" ont concentré leur raids sur les îles Britanniques tandis que les Danois se sont répandus autour de la Mer du Nord, de la Manche et sur les côtes atlantiques de la Gaule. Il faut toutefois se garder d'une sectorisation trop rigoureuse. Les bandes vikings mêlaient parfois Danois et Norvégiens et certaines régions comme l'Irlande ou l'Angleterre ont été disputées entre ces deux peuples.

Vers l'est, les Varègues 

Les Vikings originaires de l’actuelle Suède, bientôt nommés « Varègues », étendirent leur domination à l’Est de la Mer Baltique. Vivant du commerce, de la piraterie et du pillage, et s’offrant comme mercenaires, ils écumaient le réseau fluvial et lacustre de ce qui sera plus tard l’Ukraine et la Russie (avec leurs Drakkars à faible tirant d'eau), leur but ultime étant d'atteindre Constantinople. Certains Varègues y parvinrent en descendant le Dniepr puis en traversant la Mer Noire. En 838, ils se présentèrent devant la capitale de l'Empire byzantin. Plus tard, l'empereur en recruta pour composer sa garde personnelle. D'autres Varègues empruntèrent une route plus longue : ils suivirent la Volga, naviguèrent sur la Mer Caspienne, passèrent par Bagdad pour rejoindre Constantinople. Dans les années 1040, une expédition varègue dirigée par Ingvar atteignit même l’Afghanistan.

Les "Suédois" arrivèrent dans la future Russie à l'invitation des tribus slaves et finnoises, incapables de se gouverner. Ils établirent plusieurs comptoirs et fondèrent un État autour de Novgorod puis un second autour de Kiev. L'union de ces deux parties forma l'embryon de la Russie, le pays des Rus. Rus étant le nom que les Slaves, les Grecs et les Arabes donnaient aux Vikings.

Vers l'ouest, les Danois et les Norvégiens 

Les Danois organisèrent des expéditions massives, souvent sous le commandements de rois ou de chefs influents. Ils orientèrent leurs conquêtes et leurs pillages le long des côtes de la mer du Nord, de la Manche et de l'océan Atlantique. Leur raids commencèrent dès la fin du VIIIe siècle mais s'intensifièrent après la mort de Charlemagne (814) et la déliquescence de son empire. À l'évidence, les Scandinaves profitaient de cette faiblesse politique. Ils étaient également poussées au pillage par leurs guerres internes : il est fort probable que les Danois partaient en raid pour rapporter de quoi financer leurs conflits au Danemark et pour s’auréoler du prestige du conquérant.

Morcelée en multiples royaumes, l'Angleterre fut particulièrement touchée. L’Humber et la Tamise constituaient des voies de pénétration privilégiées pour les navires vikings. Entre 875 et 879, les Danois battirent les souverains locaux du nord-est de l'Angleterre et fondèrent une sorte de royaume autour de York. Ce territoire s'agrandit aux dépens des rois anglo-saxons jusqu'à recouvrir les provinces de Northumberland, East Anglia, les Five Burroughs (Stamford, Leicester, Derby, Nottingham et Lincoln) et les Midlands du Sud-Est. Alfred le Grand, roi du Wessex, arrêta cette expansion et reconnut en 886 le royaume viking qui prit progressivement le nom de Danelaw, « le pays sous la loi danoise ». En tant qu'État indépendant, le Danelaw survécut jusqu'en 954, assez longtemps pour que cette partie de l'Angleterre connut une imprégnation de la langue scandinave. La densité des toponymes en -by, -beck, -fell, -thwaite, -thorp et -toft l'atteste. Certains mots anglais d'aujourd'hui comme egg ou law proviennent du vieux norrois.

La Gaule présentait aussi une façade maritime très ouverte ; les Vikings empruntèrent régulièrement la Seine, la Loire, la Garonne et les petits fleuves côtiers. Les chroniques des monastères nous apprennent que la Seine charria des flottes scandinaves en 841, en 845, en 851, en 852 et en 856. Ensuite, les envahisseurs choisirent d'hiverner sur une île fluviale.

Les Vikings envahissant la Gaule reçurent le nom de « Normands » avant de s’établir durablement dans la région qui porte aujourd’hui le nom de Normandie.

Article détaillé : Normands.

Moins bien organisés que leurs voisins danois, les Vikings originaires des côtes occidentales de la Scandinavie (l’actuelle Norvège) formaient des groupes d'individus isolés qui s'attaquèrent à l'Occident dans un but de pillage mais aussi de colonisation. Ils recherchaient en effet des terres agro-pastorales. Leur aire d'expansion recouvre l’Écosse, l’Irlande, le nord-est de l'Angleterre ainsi que les petites îles plus septentrionales comme les îles Féroé, les Orcades, les Hébrides ou les Shetlands. L'Irlande constituait une proie de premier choix pour les envahisseurs : riche de ses prestigieux monastères, l'île était divisée en sept "royaumes" qui ne cessaient de se faire la guerre. Vers 840, le Norvégien Turgeis amorça la conquête du pays. Conquête rendue difficile par l'intervention des Danois du Danelaw. Preuve des rapports conflictuels qui pouvaient exister entre les Vikings. L'apport scandinave en Irlande est en tout cas indéniable puisqu'ils sont notamment à l'origine des villes de Wexford, Waterford, Cork et Limerick.

Des îles Britanniques, les Norvégiens se lancèrent à l'attaque des côtes occidentales de la Gaule et de la péninsule ibérique. D'autres gagnèrent l’Islande. Sur cette île proche du cercle polaire arctique, le but n'était pas de razzier mais bien de coloniser. Arrivés en 870, les premiers colons, des Norvégiens mais aussi des Irlandais et autres Celtes, construisent des fermes. Ils cultivent la terre, élèvent des ovins, des bovins ou des chevaux ou chassent les mammifères marins. L'historien Régis Boyer estime que c'est sur cette île isolée que s'exprima le « génie viking ». Les colons formèrent une société originale, dominée non pas par un roi ou un jarl mais par une assemblée, l'Althing. D'Islande, provient une précieuse partie de la littérature scandinave, au premier chef les sagas et les Eddas (poèmes).

Les aires d'expansion extrême : Méditerranée, Groenland et l'Amérique [

Remarquables navigateurs, les Vikings s'aventurèrent très loin de leur patrie en procédant par bonds. D'Angleterre ou de France, certains assaillirent la péninsule ibérique. En 844, Séville et Cadix alors aux mains des Maures furent ravagées par une flotte remontant le Guadalquivir. Les Vikings pénétrèrent en Méditerranée par le détroit de Gibraltar. En 859-860, ils atteignirent le port de Luni près de Pise.

Selon le Livre des Islandais, des Vikings commandés par Erik le Rouge partirent en 982 ou 983 d'Islande et mirent le cap vers l'ouest. Après quelques jours de navigation, ils rencontrèrent l'immense masse du Groenland. L'île parut si attirante (le climat était sûrement à l'époque plus favorable) qu'Erik y revint deux ans plus tard afin de coloniser les lieux. L'archéologie a retrouvé une ferme qui atteste de l'occupation viking sous ses hautes latitudes dès la fin du Xe siècle}.

Les Vikings auraient aussi mis les pieds en Amérique, et ce bien avant Christophe Colomb. En effet, plusieurs sagas, en particulier la Saga des Groenlandais et la Saga d'Erik le Rouge, racontent l'exploration d'une région appelée Vinland par des groupes vikings en l'an 1000. Or dès le XIXe siècle, des érudits émirent l'idée que ce Vinland était en Amérique du Nord. En 1960, les archéologues norvégiens Helge et Anne Stine Ingstad découvrirent au nord de Terre Neuve les ruines d'un campement qui se révéla d'origine viking. D'après les analyses du carbone 14, ce site de L'Anse aux Meadows datait entre 980 et 1020. Il constituerait la preuve que les premiers Européens à débarquer en Amérique étaient des Vikings. Toutefois, cette découverte archéologique ne fait pas encore l'unanimité chez les scientifiques.

Les phases d'expansion 

L'historiographie place traditionnellement en 793, année du saccage de l'abbaye de Lindisfarne, le début des invasions vikings. En réalité, des Norvégiens avaient déjà sévi quelques années plus tôt en 789 sur la côte méridionale de l'Angleterre. Mais l'épisode tragique de Lindisfarne a tellement frappé les contemporains que les historiens continuent à le présenter comme le premier événement de l'âge viking.

L'historien Lucien Musset repère deux grandes phases d'invasions : la première entre 790 et 930 et la seconde entre 980 et 1030. Entre les deux périodes, l'Europe connut quelques dizaines d'années d'accalmie. Musset subdivise ensuite la première phase en trois mais cette partition n'est pertinente que pour les Danois envahissant la France :

  • entre 800 et 850, les Vikings se contentent de piller les monastères ;
  • entre 850 et 900, les Vikings découvrent la faiblesse des défenses franques et organisent de véritables opérations militaires depuis des îles situées sur les fleuves francs ; ils procèdent de plus en plus par intimidation. Les populations s'en débarrassent temporairement en leur versant un tribut (le danegeld)
  • de 900 à 950, c’est le temps de la colonisation : les Francs incapables de mettre fin aux invasions par la force autorisent les Vikings à s’installer sur leurs terres.

Et Pierre Bauduin de préciser : « si ce schéma offre un cadre de lecture au mouvement viking, il ne correspond pas à un plan préétabli et les étapes en ont été franchies à des dates différentes selon les régions ».

Régis Boyer propose une autre périodisation qui reprend partiellement celle de Musset. Il distingue trois « vagues » d'invasions :

  • entre 800 et 850, les Vikings procèdent par tâtonnement et testent leurs adversaires.
  • entre 850 et 900, sûrs de leur force, ils exploitent les territoires envahis, voire les conquièrent
  • entre 980 et 1050, après une phase d'accalmie qui a vu l'installation des Vikings en différentes régions (Angleterre, Normandie, Groenland...), des Scandinaves repartent sur les mers, dernier soubresaut des invasions. Il s'agit surtout de Danois qui s'attaquent à la Grande-Bretagne, et dans une moindre mesure, de Suédois qui se mettent en route pour l'Asie musulmane.

Cette périodisation formulée par l'historien Danois Johannes Steenstrup (1844-1935) a été reprise par Lucien Musset qui l'a adaptée à la Neustrie. Les suivants de Musset ont repris cette périodisation et l'ont étendue au reste de la France sans autre forme de procès. Or, la conquête de la Gascogne dès 840 -largement ignorée par la plupart des chercheurs focalisés sur la Normandie- prouve que les attaques vikings n'ont pas été "progressives" partout et surtout que dès le début des invasions, les Vikings, loin de se comporter comme des pillards, ont affiché des ambitions politiques. 

Les raisons des succès vikings : le cas franc 

Le royaume franc dirigé par Charlemagne connut un raid dès 799. C'était le point de départ d'une longue série d'attaques vikings, dont la plus connue est sans doute le siège de Paris en novembre 885. Si des mesures défensives furent rapidement prises après l'événement de 799, il n’en demeure pas moins que les incursions vikings témoignèrent d’une redoutable efficacité tout au long du IXe siècle. Ce succès s’explique d’abord par la vitesse d’exécution de la machine militaire viking, efficace et novatrice. Par ailleurs, la décadence politique de l'empire franc après 830 a certainement facilité la tâche aux assaillants.

Les atouts militaires vikings 

Les premiers raids vikings étaient surtout dirigés vers des cibles situées à proximité du rivage et consistaient surtout à piller les villages ou les monastères avec peu de moyens, de façon à pouvoir regagner le large avec des richesses rapidement gagnées. Mais dès 830, on peut noter une évolution dans le modus operandi : ceux-ci bénéficiaient désormais d’une plus grande flotte et attaquaient des cibles (surtout des églises ou des monastères) à l’intérieur du pays. Ils employaient des éclaireurs ou des espions pour connaître la disposition de leurs cibles et s’attardaient même parfois en territoire franc. Noirmoutier, situé à l’embouchure de la Loire, figure parmi les premiers lieux à avoir servi de base fixe aux Vikings. À partir des années 860, les Vikings entreprirent de conquérir et de coloniser des territoires. Ce changement d’objectif nécessita une évolution militaire : une armée plus grande et mieux organisée. Les Danois en particulier savaient rassembler plusieurs bandes dans un objectif précis. En 885-886, une armée portée par 700 navires se présenta devant Paris. Toutefois, contrairement à ce que la lecture des chroniques monastiques pourrait faire croire, les assaillants ne formaient pas une marée humaine se déversant sur la Francie. En effet, la Scandinavie était à cette époque (et encore aujourd'hui) trop peu peuplée pour submerger par le nombre l'Occident.

Leurs navires de guerre, appelés langskip ou snekkja (mais jamais drakkar), sont l'outil indissociable de la réussite des envahisseurs. Longs en général d'une vingtaine de mètres, ils étaient mus à la rame et à la voile. La souplesse de leur coque les rendait adaptés aux déplacements en haute mer tandis que leur légèreté, leur faible tirant d'eau leur permettaient de remonter aisément les rivières. Les Vikings pouvaient également emporter leur flotte sur une bonne distance : durant le siège de Paris, ils l’auraient même traîné hors de la Seine pour la remettre à l’eau deux mille pieds plus loin, en amont de la Seine. Privilégiant la marche, les Vikings ont peu utilisé les chevaux car il était assez difficile d'en obtenir.

Il est pertinent d’ajouter que les hommes du Nord ne sont pas des pirates : ils ne combattent pas en mer et leur flotte ne sert que pour le transport.

Les armes scandinaves n'étaient en rien supérieures à celles des Francs. Les guerriers étaient généralement armés de haches, de grands glaives lourds, de lances, de javelots et de boucliers. À la grande hache scandinave (tenue à deux mains), répondait la qualité des épées et des broignes franques. Ils utilisaient aussi des épées d'origine anglo-saxonne. C’est l’élément tactique des Vikings et non l'armement qui garantissait leur efficacité au combat. Ils utilisaient notamment l’effet de surprise. Mais cet avantage disparaissait lorsqu'ils s'engageaient dans la remontée des fleuves et dans l'arrière-pays car la nouvelle de leur présence était rapidement transmise de village en village. Les sources franques révèlent que les envahisseurs savaient se retrancher dans des fortifications qu'ils élevaient eux-mêmes.

Lors d’un raid, les Vikings tuaient ou emmenaient des captifs. La nouvelle de ces violences causaient la terreur chez les autochtones qui s'empressaient de fuir ou de verser un tribut. Cette intimidation était une arme de dissuasion redoutable dont les effets sur l’adversaire, quoique non quantifiables, ont sûrement joué un rôle important dans le succès des incursions vikings en Francie occidentale.

Enfin, de façon générale, les Vikings ne s’attaquaient qu’à des cibles beaucoup plus faibles qu’eux, évitant les armées et les batailles rangées, se repliant rapidement dès qu’ils rencontraient une résistance.

L'inefficacité des Carolingiens devant l’envahisseur 

Le raid précurseur de 799 contraignit Charlemagne à prendre des mesures défensives. Le roi amorça la construction d'une flotte de guerre et plaça des sentinelles et des postes de gardes sur le littoral (notamment dans les ports et à l'embouchure des fleuves). Ce dispositif sembla fonctionner puisqu'en 820 par exemple, une flotte viking dut rebrousser chemin devant l'estuaire de la Seine. Toutefois, après 830, les raids fructueux se multiplièrent.

Première raison de leur échec, les Francs souffraient des divisions internes qui fêlaient l'empire. Le pouvoir de Louis le Pieux était contesté par ses fils et une fois le père mort en 840, ces derniers se disputèrent l'héritage territorial. Le traité de Verdun en 843 sanctionna la division de l'empire en trois royaumes : Charles le Chauve reçut notamment la Francie occidentale, ébauche de la France. Cet accord ne stoppa pas pour autant la guerre, le roi devant faire face à la dissidence de l'Aquitaine, à la poussée bretonne, à la montée en puissance de l'aristocratie sans oublier les ambitions de son frère Louis le Germanique. En 858, Charles dut par exemple annuler sa campagne contre les Vikings car les aristocrates s'étaient révoltés et son frère avait envahi le royaume. Les Scandinaves profitaient de cette instabilité pour mettre à feu et à sang des villes, des monastères et en tirer un butin considérable.

Toutefois, à partir des années 860, les invasions déclinèrent pour se diriger plutôt sur la Grande Bretagne. Les dispositions défensives mises en place par Charles le Chauve semblaient porter leur fruits. Dans les secteurs régulièrement envahis, des châteaux (castella) avaient été établis, parfois en dépit de l'accord royal. Des ponts fortifiés, tel celui de Pont-de-l'Arche sur la Seine, barraient la route des fleuves. Le roi carolingien confia de grands commandements militaires aux principaux chefs de l'aristocratie. Robert le Fort devint par exemple marquis de Neustrie et battit les Normands à Brissarthe en 866. "Victoire" toute relative puisque dans ce combat Robert le Fort et Rannoux de Poitiers trouvèrent la mort. Quant à Hastein, le "fuyard", malgré cette "défaite" qui avait le mérite de décapiter l'armée franque, il restait maître incontesté de la vallée de la Loire. En réalité, les Francs n'ont jamais compris qui étaient leurs adversaires, ni les objectifs qu'ils visaient, ni leur manière de combattre.[réf. nécessaire]

À la fin des années 870, les Scandinaves se jetèrent à nouveau sur le royaume. Ils étaient maintenant plus nombreux et s'organisèrent pour la conquête de territoires. Dans le même temps, la royauté carolingienne vacillait après la mort de Charles le Chauve. Les règnes étaient éphémères : Louis le Bègue régna deux ans (877-879). L'espoir se ralluma quand en 881 le roi Louis III défit une grande armée viking à Saucourt-en-Vimeu, puis en 885 quand le comte Eudes contraignit à empêcher que les Vikings prennent Paris. Mais plus souvent, les Carolingiens se soumirent à leurs adversaires. À plusieurs reprises, ils payèrent le départ des Hommes du Nord. Bien qu'il réussit à reconstituer l'empire de Charlemagne en rassemblant les différents royaumes francs, l'empereur Charles le Gros usa de ce moyen financier pour se débarrasser des Vikings qui assiégeaient toujours Paris. Cerise sur le gâteau : outre les 700 livres de tribut, les Scandinaves reçurent le droit de piller la Bourgogne en amont de la ville.

L'incapacité des Carolingiens ne se démentit pas dans les décennies suivantes. En 911, le roi Charles le Simple, petit-fils de Charles le Chauve, se résolut à négocier avec un chef viking nommé Rollon. Il lui abandonna les territoires autour de Rouen, embryon de la Normandie. Cette décision calma quelque peu les raids scandinaves en Neustrie. Ailleurs, la résistance des populations et des chefs locaux, notamment en Bretagne, obligea les Hommes du Nord à battre en retraite.

Chronologie 

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Navire viking exposé au Musée de Roskilde
  • 753 : fondation de la première colonie suédoise en Russie, près de la future Saint-Pétersbourg : « Aldeigjuborg » (aujourd’hui Staraya Ladoga).
  • 789 : premier raid connu. Il a lieu sur l’île de Portland au sud de l’Angleterre.
  • 793 : Attaque du monastère de Lindisfarne dans le nord de l'Angleterre. Grand émoi en Occident.
  • 795 : les Vikings atteignent l’Irlande. Les Vikings, installés sur la côte nord de l'Espagne combattent aux côtés du roi asturien contre les Sarrasins.
  • 799 : première mention d'une flotte scandinave sur la côte d’Aquitaine. En réponse, Charlemagne fait tenir en alerte permanente des navires d’intervention dans tous les ports de la côte atlantique. Cette mesure coûteuse n’est pas maintenue après sa mort.
  • 802 : les Vikings s’emparent des Orcades, Shetland et Hébrides.
  • 808 : fondation d'Hedeby à la base de la péninsule du Jutland.
  • 810 : Louis le Pieux, encore roi d'Aquitaine, fait fortifier l'embouchure de la Charente.
  • 816 : Des Scandinaves combattent aux côtés du roi de Pampelune contre les Sarrasins.
  • 820 : attaque victorieuse des Vikings de Norvège contre l’Irlande, ils s’y installent ainsi qu’à l’île de Man. Tentatives avortées de débarquement en Flandre et en Baie de Seine. Sac de Bouin.
  • 833 : Lothaire, qui vient de renverser son père, Louis le Pieux, fait appel à des "mercenaires danois".
  • 834 : Première attaque menée dans l'Empire carolingien contre Dorestad. Début de la première vague d'invasions.
  • 835 : Les Vikings prennent Dorestad sur le Rhin, Anvers sur l'Escaut et Witla sur la Meuse, les principales places commerciales franques. Ils prennent position à l'embouchure de la Tamise. Pépin Ier d'Aquitaine, incapable de contrer les Scandinaves, ordonne l'évacuation des îles d'Aquitaine (Noirmoutier, Ré, Oléron).
  • 839 : Des Varègues atteignent Constantinople via les fleuves et lacs russes.
  • 841 : première remontée de la Seine. Pillage de Rouen ; destruction des abbayes de Jumièges et Saint-Wandrille ; les Vikings danois sont sur l’île de Walcheren à l’embouchure de l’Escaut et aussi dans le Lindsey, l’Est-Anglie et le Kent en Angleterre.
  • 842 : Pillage de Quentovic, principal port de commerce franc à destination de la Grande-Bretagne.
  • 843 : Les Vikings prennent et désarment Nantes, principal port sur la Loire, puis s'installent à Noirmoutier.
  • 844 : Pour la première fois, une flotte viking remonte la Garonne. Agen, place forte gasconne est prise. Ils atteignent Toulouse. Un 1er raid viking sur La Corogne puis sur Séville en Espagne est repoussé par Ramire Ier et par 'Abd al-Rahman II.
  • 845 : premier raid contre Paris par Ragnar Lodbrok ; premier tribut versé par Charles le Chauve ; Saintes en Charente tombe entre les mains des Vikings.
  • 848 : Bordeaux, capitale d'Aquitaine, tombe entre les mains des Vikings.
  • 849 : Les Vikings prennent Périgueux.
  • 850 : Auch, dernier bastion gascon, tombe aux mains des Vikings. La Gascogne est sous le complet contrôle des Scandinaves. Première fortification sur un fleuve franc à Oissel, près de Rouen.
  • 851 : Les Vikings créent des camps retranchés à Jeufosse sur la Seine, à Bièce et à Saint-Florent-le-Vieil sur la Loire.
  • 855 : Les Vikings lancent une offensive générale contre la Francie occidentale. Ils reprennent Bordeaux.
  • 856 : Paris tombe pour la deuxième fois. Son vainqueur est Björn, fils de Ragnar. Les Vikings, partis de Saintonge à cheval, atteignent et prennent Clermont en plein cœur du Massif Central.
  • 858 : Après avoir laminé la Francie occidentale, Björn se rend à Verberie et fait "sa soumission". Silence des annales sur la contrepartie qu'il obtient. Les Danois, partis de Gascogne, capturent le roi de Pampelune et le retiennent prisonnier pendant un an
  • 859-860 : deux flottes vikings contournent la péninsule ibérique. Elles attaquent : La Corogne, Porto, Lisbonne (13 jours de pillage), Séville, Cordoue, Cadix (858) puis les Vikings passent le détroit de Gibraltar et pénètrent en Méditerranée. Pillage d'Algésiras, Malaga, Alméria, Aguilas, de Nacor en Afrique et des îles Baléares (859). Hivernage en Camargue. Remontée du Rhône jusqu'à Valence puis l'Isère jusqu'à Romans (860). Les envahisseurs sont arrêtés par le comte Girard.
  • 860 : première attaque viking contre Constantinople
  • 861 : les Vikings danois s’emparent temporairement de Winchester, la capitale du roi Aetelbert de Wessex ; troisième prise de Paris par Sygtrygg qui occupe Oissel depuis 855.
  • 862 : les Vikings suédois sous Riourik (Rörek) s’emparent de Novgorod ; fondation du premier État russe par les Varègues. Les Vikings quittent enfin la Seine. Charles le Chauve peut enfin construire un pont à Pîtres.
  • 864 : Pépin II d'Aquitaine, rebelle et allié des Danois, est capturé par les Francs sur la Loire.
  • 866 : Hastein tue Robert le Fort et Rannoux de Poitiers à la Brissarthe. Fin de la première vague d'invasion en Francie occidentale. Hastein reste sur la Loire.
  • 867 : Les troupes Vikings se détournent de la France et débarquent en Grande-Bretagne.
  • 868 : Charles le Chauve reprend possession de l'Aquitaine : il fortifie Saintes, Angoulême, Périgueux et Agen sur la rive droite.
  • 870 : Ingólfr Arnarson est le premier colon "norvégien" d’Islande. Trois ans plus tard environ, il se fixe sur le site de Reykjavik.
  • 876 : fondation du royaume viking d'York dans le nord-est de l'Angleterre.
  • 877 : Mort de Charles II le Chauve. Début de la deuxième vague d'invasions en France.
  • 878 : bataille d'Edington. Le roi de Wessex Alfred le Grand réussit à contenir la poussée danoise.
  • 879 : La Grande Armée venue d'Angleterre débarque près de Boulogne et commence à ravager le Nord de la Neustrie.
  • 881 : victoire de Louis III contre les Vikings à Saucourt-en-Vimeu. Raids sur la Meuse. Les villes de Liège et d'Aix-la-Chapelle sont pillées et incendiées.
  • 885 : Reprise de Londres par Alfred le Grand.
  • 885-886 : après avoir remonté la Seine, les Vikings entreprennent le cinquième siège de Paris. Le comte Eudes, ancêtre des Capétiens, leur résiste pendant 90 jours. L'empereur Charles le Gros s'en débarrasse en leur payant un tribut de 700 livres.
  • 886-889 : Razzias des Scandinaves jusqu'aux confins de la Bourgogne avant d'être vaincus par Richard le Justicier.
  • 892 : Après treize années de ravages, la "Grande Armée" se retire.
  • 900 ou 901 : Gunnbjorn aperçoit le Groenland.
  • 911 : Charles le Simple signe le Traité de Saint-Clair-sur-Epte qui concède des territoires autour de la Basse-Seine à Hrólfr (Rollon). C'est la naissance de la Normandie.
Les Vikings de cette région sont dès lors nommés Normands par les historiens.
Troisième attaque viking contre Constantinople.
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La milice de Guérande face aux Normands en 919 - in : « Vie de Saint Aubin », manuscrit du XI<
sup class="exposant">e siècle provenant de l’abbaye d’Angers, BNF

Réalités et mythes sur les Vikings 

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Représentation des Vikings au XIXe siècle.

L’Occident leur doit un héritage culturel et légendaire qui a inspiré la littérature et l’imaginaire européen. Les pays nordiques usent de cet attrait pour leur promotion touristique. Et l’image toujours subjective des Scandinaves d’aujourd’hui est encore teintée d’admiration et on leur prête encore les qualités de leurs ancêtres, à savoir : bravoure, audace, curiosité, ingéniosité… Le mythe s’est par ailleurs chargé d’idées fausses. Les Vikings n'étaient ni gros ni barbus contrairement à l'image que l'on se fait d'eux. l 'image des Vikings se limite souvent à celle de guerriers sanguinaires. Plusieurs historiens, dont Régis Boyer, essaient de réhabiliter les Hommes du Nord en révélant leurs différentes facettes.

Des guerriers sanguinaires ? 

C'est le cliché du Viking, celui d'un homme qui combat, massacre, pille et détruit. Cette vision doit largement aux récits contemporains des ecclésiastiques. Très affectés par les raids, ces auteurs peignent les hommes du Nord comme des barbares pour renforcer leur image de païens et ainsi les diaboliser. Les pierres runiques et les sagas scandinaves ne sont pas en reste puisqu'elles ont tendance à glorifier la violence et la bravoure guerrière de leurs personnages.

En dépit d'exagérations, ces différents récits recèlent une part de vérité. Les Vikings savaient se montrer cruels et violents. Histoire d'entretenir la terreur parmi les populations occidentales et obtenir plus facilement d'elles des danegelds (tribut). La violence relevait donc au moins d'une stratégie d'intimidation.

Pour mieux juger la mentalité guerrière des Vikings, une comparaison avec les peuples contemporains est éclairante. Les valeurs guerrières scandinaves - bravoure, générosité du chef qui redistribue les richesses captées entre ses compagnons - se retrouvent chez les Mérovingiens, les Carolingiens et plus tard, chez les chevaliers. Il faut aussi rappeler qu'en ce haut Moyen Âge, les Scandinaves n'avaient pas le monopole de la cruauté. À la fin du VIIIe siècle, la conquête de la Saxe par les Francs de Charlemagne s'est accompagnée de massacres, de destruction et de conversion forcée. Enfin, l'historien Peter Sawyer souligne que ces Vikings dont les sagas ou les chroniques relatent les ravages et les tueries ne forment qu'une minorité des Scandinaves. Il s'agit en fait de l'élite aristocratique.

Des points plus précis dans la représentation des Vikings méritent également d'être remis en cause. Ils n'ont par exemple jamais bu dans le crâne de leur ennemi, fantasme dû à une traduction malheureuse de « la branche courbe du crâne ». Cette expression désigne en réalité une corne. Corne que les Scandinaves de l'époque viking employaient pour boire lors de festins et cérémonies.

Autre remise en cause, les Vikings ne portaient pas de casques à cornes, à l'exception de demandes en mariage pour montrer leur richesse, et lors des grandes cérémonies. Ce mythe a été créé en Suède vers la fin du XIXe siècle, puis popularisé par des bandes dessinées comme Astérix ou Hägar Dünor et de nombreuses autres fictions. En revanche leur casque pouvait avoir des "lunettes" ou un nasal (tige de fer devant le nez, comme l’atteste la tapisserie de Bayeux) qui lui donne un air de casque grec. De plus ces casques en métal n'était l'attribut que des guerriers riches. Les autres portaient le casque de cuir.

L'évolution de la représentation des Vikings 

Si au Moyen Âge les Vikings sont vus en Occident comme les suppôts du diable, une réhabilitation s'opère à partir du XVIIe et XVIIIe siècles. Selon Régis Boyer, ce changement d'optique doit probablement au développement du « mythe du Nord » qui excite l'imagination des écrivains.

Au siècle des Lumières, les Vikings sont considérés comme le berceau de la chevalerie. Issu d'un nord plus pur, ils auraient régénéré l'aristocratie et puni l'Église de ses égarements. Les Romantiques s'emparent plus tard de ces Nordiques. Ils les considèrent comme des hommes libres et admirent leur goût pour l'aventure maritime. Leur bravoure et leur courage sont loués. Cette vision perdure au XXe siècle et sert de terreau à des thèses nationalistes et racistes. Les Vikings deviennent dans certains discours extrémistes une race supérieure. Plusieurs nations ou groupes se vantent d'être leurs descendants. En France même, ceux qui s'intéressent aux Vikings sont immédiatement suspectés d'être motivés par des idées de ce type. Tant et si bien, qu'aucun historien français n'a étudié la question depuis Ferdinand Lot. Ceux qui écrivent aujourd'hui sont linguistes (Boyer, Ridel), sociologue (Renaud) ou archéologues (Anne Nissen-jaubert). Quant aux historiens (Pierre Bauduin), ils n'étudient pas les Vikings, mais les Normands.

Régis Boyer démystifie ces thèses. Il souligne la faiblesse démographique des Vikings (en rappelant que la Scandinavie actuelle porte moins de 20 millions d'habitants). Pour cette raison, ils n'ont pas pu modifier fondamentalement le peuplement de certaines régions. Cet argument brandi par Régis Boyer, qui ne prouve en rien une quelconque faiblesse démographique à l'époque, est très contestable. La plupart des archéologues et historiens estiment, au contraire, que la société scandinave connaissait un excédent de population qui a justifié les invasions.

Les historiens et archéologues constatent qu'en quelques générations, ils se fondirent dans la population. Plus rien ne les distinguait des autochtones. Ce fut le cas en Normandie, en Russie ou en Irlande du sud. Régis Boyer s'amuse aussi de la bravoure légendaire des Vikings. Leur tactique, conséquence de leur faible nombre, se résumait à des attaques surprises de lieux en général mal ou pas défendus. Les exceptions au principe posé par Régis Boyer sont cependant nombreuses : Paris, Bordeaux, Toulouse, Narbonne, Dax, Hambourg, Lisbonne, et quelques autres cités européennes ne peuvent être considérées comme des lieux mal défendus. Lucides et non téméraires, ils préfèrent se retirer quand l'ennemi est supérieur ou leur résiste vigoureusement. En 885, ils abandonnent le siège de Paris défendue par Gozlin et le comte Eudes. Mais, loin de se retirer, ils poursuivent leur remontée du fleuve et ravagent la Bourgogne. En Angleterre, après de nombreuses batailles, Alfred le Grand, les refoule au nord de la Tamise, mais les Vikings restent maîtres de l'Est-Anglie, d'une partie de la Mercie et de la Northumbrie où ils fondent le Danelaw. Régis Boyer prétend également que les Vikings évitent les batailles car ils sont toujours battus si une armée les contraint au combat. Ce principe admet cependant encore une fois de nombreuses exceptions. Il suffit de lire les Annales Royales franques, les Annales de Xanten ou les Annales de Metz pour découvrir trace de plusieurs batailles rangées remportées par les Scandinaves sur les Francs.

Aujourd'hui, la bande dessinée développe une autre représentation des Hommes du Nord. Ils deviennent des personnages truculents et burlesques.

D'excellents navigateurs

Les Vikings ont parcouru toutes les mers européennes et même au-delà. Ils ont remonté les fleuves et les rivières d'Europe occidentale et de Russie. Cette expansion n'aurait pas été possible sans la qualité des navires qu'ils construisaient.

Les navires vikings 
Article détaillé : bateau viking.

« Quiconque a vu le bateau d'Oseberg ne verra plus jamais les Normands du IXe siècle comme des barbares vils et insensibles » écrivait un historien après avoir visité le musée des navires à Oslo. Même si elle reste imparfaite, la connaissance des bateaux scandinaves a progressé grâce aux découvertes archéologiques d'embarcations. Le navire d'Oseberg mis au jour en 1904 est l'un des plus beaux spécimens conservés auquel on peut lui comparer celui de Gokstad et ceux de Skuldelev. L'iconographie, au premier rang la Tapisserie de Bayeux, apportent d'autres informations.

Il n'existe pas un bateau-type scandinave. Son architecture variait selon la destination (commerce de cabotage, au long cours, guerre ou apparat) et évolua dans le temps. Toutefois se dégagent quelques points communs. La proue et la poupe sont relevés ; leur coque est construite à clins. Depuis le VIIIe siècle, ils sont propulsés par le vent grâce à une voile rectangulaire en laine. Ce navire remonte très bien au vent. Ce qui n'empêche pas les bateaux d'être aussi équipés d'avirons. Les navires de guerre, comme celui de Gokstad, sont appelés langskip, snekka ou drakkar. Mais ce dernier terme est un barbarisme erroné créé au XIXe siècle, inspiré du terme suédois moderne « drake » (dragon) – et non « dreki » en norrois – auquel un double « k » a été ajouté pour en accentuer l’aspect exotique. Les Vikings ne désignaient pas ainsi leur embarcation.

Les archéologues reconnaissent l'excellente architecture des bateaux scandinaves. Ils s'étonnent notamment de la souplesse de la coque. Les membrures sont fixées au bordé - et non à la quille - par des liens d'osier, des lacets de cuir ou, pour les modèles tardifs, par des chevilles. Résultat, le navire peut affronter la haute mer en se tordant face aux vagues. Outre la souplesse, les bateaux vikings sont reconnus pour leur légèreté. La coque fait quelques centimètres d'épaisseur. Du coup, le tirant d'eau est faible, donnant l'impression que le bateau glisse sur les flots. La vitesse pouvait dépasser les 10 nœuds.

Une bonne connaissance de la mer 

Les Vikings n'utilisaient pas d'instruments de navigation, boussole ou compas. Ils n'avaient pas de cartes. La nuit, ils pouvaient s'aider de l'étoile polaire pour conserver un cap et le jour, s'appuyer sur la hauteur du soleil pour estimer leur latitude. C'est surtout l'observation de la mer, des repères terrestres et des animaux marins qui leur permettait de trouver leur chemin en pleine mer. Le nombre plus grand de macareux annonçait la proximité des îles Féroé. La brusque variation de température de l'eau, conséquence de l'entrée dans un courant polaire, le changement de couleur de l'océan passant du bleu au vert, la multiplication des icebergs indiquaient que le Groenland était proche. Les navigateurs vikings connaissaient en outre les courants qui emmenaient facilement les bateaux d'un secteur à l'autre ou le trajet migratoire des baleines. Le Hausbók, un manuscrit islandais qui raconte notamment la navigation de Norvège au Groenland, fournit de nombreux détails de ce genre.

Cette connaissance de la mer et plus généralement de la navigation a permis aux Vikings d'explorer des régions lointaines. À l'ouest, ils sont les premiers européens à débarquer au Groenland. De là, ils ont peut-être découvert l'Amérique. À l'est, des Suédois ont emprunté le réseau des lacs et fleuves russes pour atteindre l'Asie centrale et ses routes caravanières venues d'Extrême-Orient. L'image d'explorateur a donc autant de pertinence que le cliché de guerrier sanguinaire qui colle aux Vikings.

Les découvreurs de l'Amérique ? 

Deux sagas islandaises, celle des Groenlandais et celle d'Erik le Rouge, racontent la découverte par des Vikings de terres situés au-delà du Groenland. Vers 986, un navigateur groenlandais Bjarni Herjolfsson, dérouté par une tempête, aperçoit des terres et des forêts inconnues. Une vingtaine d'années plus tard, Leif, fils d'Érik le Rouge entreprend une expédition pour vérifier le récit de Bjarni. Après plusieurs jours de navigation, il découvre de nouveaux territoires : un pays de montagnes et de glaciers qu'il nomme Helluland (« pays des pierres plates »), puis une côte dominé par un arrière-pays forestier, qu'il appelle Markland (« pays des arbres »), puis une terre agréable où les explorateurs pêchent des saumons et cueillent des grappes de vignes, le Vinland (« pays de la vigne »). À partir du XIXe siècle, des érudits avancent officiellement l'hypothèse que ces navigateurs ont en fait suivi les rivages de l'Amérique. Les Vikings auraient donc mis le pied sur le Nouveau Continent environ cinq cents ans avant Christophe Colomb.

Les sagas étant généralement considérées comme des sources littéraires peu fiables (les nombreuses contradictions entre la saga des Groenlandais et celle d'Érik le Rouge le prouvant), des chercheurs tentent de trouver la preuve matérielle qui confirmera l'hypothèse. En 1898, une pierre runique est découverte à Kensington, aux États-Unis mais à ce jour, son authenticité n'est pas encore assurée. En 1930, un équipement guerrier typique d'un Viking est retrouvée à Beardmore en Ontario mais la découverte tourne au canular. L'hypothèse des Vikings comme premiers découvreurs de l'Amérique reprend de la valeur dans les années 1960 quand un couple d'archéologues norvégiens, Helge et Anne Stine Ingstad, révèlent les vestiges d'habitations vikings sur l'île de Terre-Neuve. Le site de l'Anse aux Meadows se compose de huit édifices distribuées en trois complexes. Sont notamment dégagés un atelier de menuiserie, une forge, un four et un fourneau. La datation des objets artisanaux recueillis colle avec la date de l'expédition de Leif. L'Anse aux Meadows devient célèbre dans le monde entier et s'affirme comme la preuve qui manquait aux scientifiques.

Aujourd'hui, subsistent toutefois quelques doutes. Même Régis Boyer, pourtant favorable à la thèse scandinave, avoue que le site archéologique ne résiste pas à une « hypercritique ». Les maisons sont-elles vraiment vikings ? Les objets ne pourraient-ils pas provenir d'Inuits qui auraient troqué avec les Vikings ? La nouvelle datation au carbone 14 ne donne-t-elle pas une amplitude temporelle trop large ? Surtout, comment expliquer que les sagas parlent de vignes alors que Terre-Neuve, par sa position septentrionale, ne peut pas produire de raisins ?

Les autres facettes du Viking  : le commerçant et l'administrateur 

Régis Boyer insiste aussi sur l'erreur de cantonner les Vikings à un rôle de combattants pillards et violents. Pour ce professeur de littératures et de civilisations scandinaves, les Hommes du Nord tant redoutés des Occidentaux, étaient avant tout des commerçants. Pour preuve, Viking désignerait l'homme qui va de vicus (ville comptoir marchand) en vicus. Quant à Varègue (Væringr), sa signification serait l'homme qui s'occupe de marchandises (var). On sait toutefois que ces interprétations étymologiques sont débattues. Régis Boyer rappelle que les Vikings pratiquaient au moins le commerce depuis le VIe siècle. Ce n'est qu'à la faveur d'un affaiblissement de l'empire carolingien que ces commerçants se sont convertis en guerriers prédateurs entre grosso modo 800 et 1050. La dualité marchand-brigand ne cessa pas avec les raids vikings. Le butin ramené d'Occident était en partie vendu sur les places commerçantes de Scandinavie. Dans la seconde moitié du IXe siècle, le roi de Wessex Alfred le Grand s'entendit avec un "Norvégien" nommé Ottar pour s'approvisionner en ivoire et peaux alors même qu'il combattait depuis le début de son règne les Scandinaves établis en Angleterre.

Difficile de considérer encore les Vikings comme des barbares quand on regarde le développement des territoires qu'ils se sont vu confiés ou qu'ils ont colonisés. Ils se sont révélés de talentueux administrateurs. Qualité que les Slaves avaient semble-t-il remarqué puisque, selon la Chronique de Nestor, ils auraient demandé aux Varègues de les gouverner. Ce serait l'explication de leur installation en Europe de l'est. Et on sait que les Vikings y ont fondé deux États dont l'union autour de l'an 900 formera la Russie. Le sens de l'organisation et la discipline scandinaves ont profité aussi au Danelaw et surtout à la Normandie. Dans ce dernier territoire, les Vikings sont à l'origine d'un État modèle. Modèle d'administration, modèle de vigueur économique et de vigueur tout court puisque les Normands se lanceront au XIe siècle à la conquête de l'Angleterre et de l'Italie du Sud. Il ne faudrait pas oublier parmi les réussites scandinaves un pays isolé, l'Islande. Les Vikings y ont inventé un système de gouvernement original, non une république comme souvent dit, mais plutôt une « oligarchie ploutocratique . Des assemblées réunissant les grands propriétaires fonciers déterminaient la politique et la gestion de l'île.

 

 



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Publié dans Aventuriers

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